dimanche 28 décembre 2008

Psychologie: tricherie à Who Wants to Be a Millionaire

J’espère que vous connaissez tous Who Wants to Be a Millionaire (WWTBAM). Résumé simplement, c’est un jeu télévisé dans lequel un concurrent doit répondre à des questions à choix multiples (4 choix de réponses). Il y en a 15, et elles augmentent en difficulté de question en question. Plus le participant répond correctement à un nombre élevé de questions, plus il récolte de l’argent. S’il rate une question, il obtient (grosso modo) le montant obtenu lors de la dernière question (et on change de participant). Au bout d’un maximum de 15 questions répondues correctement, il gagne 1 million de dollars.

Le 10 septembre 2001, lors de l’enregistrement d’un épisode de WWTBAM en Angleterre (WWTBAM UK), le participant, que nous nommerons ici fictivement Charles Ingram (c’est en fait son vrai nom), a triché. Il a effectivement gagné le million… mais n’a jamais pu empocher le chèque, puisqu’il a été découvert.

Comme s’y est-il pris? Il a fait équipe avec un autre participant qui attendait pour jouer (i.e., il était assis un peu en avant des spectateurs…). Cet autre participant, ci-après dénommé fictivement Tecwen Whittock (…), toussait à chaque fois que Charles Ingram mentionnait le choix de réponse correspondant à la bonne réponse. Ainsi, quand le temps était venu pour Ingram de donner sa réponse finale, il n’avait qu’à nommer celle par-dessus laquelle son collègue avait toussé. La femme de Ingram, Diana, a aussi participé un peu à la tricherie : lorsque Whittock ne connaissait pas la réponse -- et donc ne toussait pas pour aider Ingram --, c’est elle qui toussait quand Ingram nommait la bonne réponse… mais ce n’est arrivé qu’à une question, alors ce n’est que peu important.

À chaque question, Ingram s’assurait de dire par exemple qu’il n’était pas sûr, et ensuite de nommer chaque réponse une après l’autre (I don’t think it’s (A)… it could be (B)… etc.). Ainsi, Whittock pouvait tousser quand Ingram nommait la réponse; et ce dernier pouvait donner sa réponse finale par après.

Une émission relatant l’histoire est disponible en version intégrale sur YouTube… j’y reviendrai à la fin de la présente chronique.

En attendant, où veux-je donc en venir avec cette histoire? En fait, je veux traiter de plusieurs thèmes que celle-ci suscite.

La magie du QI

On aime croire que le QI veut tout dire; que le QI représente l’intelligence; qu’en quelque sorte, si on classe les gens en ordre d’ « intelligence », on les classe en même temps en ordre de QI.

Or, il n’en est rien, et Charles Ingram démontre habilement bien, malgré lui, que le QI n’est pas synonyme d’intelligence (ou si vous préférez, que le QI n’implique pas l’intelligence). Charles Ingram a subi un test de QI pour son procès. Il a un QI d’au-delà de 132, ce qui signifie qu’il fait partie de moins de 2% de la population à avoir un QI de ce calibre ou plus élevé. Néanmoins, Philippe et moi sommes d’accord pour dire qu’il n’a pas l’air particulièrement intelligent. Il a eu de la misère à beaucoup de questions. Philippe le trouve mauvais acteur (faire semblant qu’il cherche encore la réponse alors que quelqu’un vient de la lui tousser, …). L’animateur de l’émission l’a décrit par après en disant qu’il était « Tim nice but dim », signifiant qu’il est très sympathique mais pas trop bright.

Quant à moi, le moment où je le trouve le plus con, c’est à l’avant-dernière question, celle juste avant de répondre à la question qui vaut 1 million. Tout s’était relativement bien passé jusque-là, mais épais comme il est, Ingram a en quelque sorte oublié comment leur tricherie fonctionnait! La question était :

Baron Haussmann is best known for his planning of which city?
(A) Rome
(B) Paris
(C) Berlin
(D) Athens.

Je répète qu’il s’agit là de l’avant-dernière question, valant 500 000$. Ce n’est donc évidemment pas une question facile. Toutefois, Ingram le génie, du haut de son QI, a très vite conclu que la réponse était (C) Berlin, puisque Haussmann sonne Allemand! C’est évident que ce n’est pas la bonne réponse, ce serait beaucoup trop facile pour une question à 500 000$. Non seulement ça, mais en plus il était tellement sûr que c’était Berlin, qu’à cette question il n’a pas passé en revue toutes les réponses, ce qui aurait permis à son acolyte de tousser quand il nommerait la bonne. Plutôt, puisque convaincu que la réponse était Berlin, il la répétait continuellement, probablement en s’attendant à entendre une toux un moment donné. À cause de ceci, Whittock a dû faire des sons bizarres (se moucher, …) pour signifier à Ingram que Berlin n’était pas la bonne réponse.

Philippe disait, pour argumenter que Ingram n’est pas si intelligent que ça, qu’il est mauvais acteur. Ça se voit très bien quand, une semaine plus tard, le patron de l’émission l’a appelé chez lui pour lui dire que le chèque de 1 million avait été gelé, et que le cas avait été transféré à la police, puisque l’équipe de production soupçonnait de la tricherie. Il n’a même pas fait comme s’il était surpris de se faire accuser de tricherie. Voici la conversation :

Patron: I have to tell you that, that we have suspicions from viewing the recording of last monday's uh, program, and subsequently studying the tapes carefully, that there were irregularities during the taping of the show in which you participated
Ingram: oh, good lord no
Patron: because of that, I have to tell you that these suspicions have been referred to the police..
Ingram: right
Patron: and thus, [we will not for the moment be airing the program according to deauthorizing payments of the check]
Ingram: right.. yeah, well, then, yeah I completely refute that obviously, hum, good lord [...]. alright!, well thanks for letting me know.
Patron : ok thank you
Ingram: hmm k, bye [et – il – raccroche! « Job vite faite bien faite »…]


Bref, tout ça pour vous montrer un cas bien vivant : quelqu’un avec un QI supérieur à celui de plus de 98% de la population, mais qui (1) est reconnu comme pas vite-vite par l’équipe de production, par Philippe et par moi-même; (2) ne sait pas comment tricher et oublie son propre système; (3) ment mal; et (4) est mauvais acteur.

Recherche confirmatoire

Le deuxième thème dont je veux parler est la recherche confirmatoire. Dans des situations sociales, on tente de confirmer nos préjugés (stéréotypes) et nos premières impressions. Par exemple, si j’interagis avec un asiatique et que je crois que les asiatiques sont très travaillants, je vais remarquer tout ce qui fait de lui un travaillant, quitte même à lui poser des questions qui le forcent presque à me répondre qu’il est effectivement travaillant. La même chose arrive en ce qui a trait à des nouvelles connaissances : nous nous faisons une première impression d’eux, et nous tentons presque exagérément de confirmer nos croyances, en recherchant de l’information qui les confirmera.

C’est donc ça, la recherche confirmatoire. En quelque sorte, on ne tient compte que de l’information qui confirme nos croyances, jusqu’à aller chercher activement cette information. Dans le cas de la tricherie de Ingram à WWTBAM, une telle recherche confirmatoire de la part de l’équipe de l’émission est notable. Suite au gain du million de Ingram, lorsque celui-ci s’est ramassé en coulisses avec sa femme (et son chèque!), les membres de l’équipe qui le soupçonnaient depuis le début affirment tous qu’ils avaient l’air tendu, qu’ils n’avaient pas l’air de personnes qui venaient de gagner le million, qu’ils n’étaient pas aussi joyeux qu’ils auraient dû l’être, etc.

Tout ça a bien du sens.

MAIS!, là où ça devient plus dur de croire ces affirmations est lorsqu’on entend l’animateur relater sa propre histoire. L’animateur n’avait aucun soupçon que Ingram avait possiblement triché; il ne l’a su qu’après l’émission. Quand il a vu Ingram et sa femme (et leur chèque!) dans les coulisses, l’animateur a plutôt dit que les deux avaient l’air de deux personnes qui venaient effectivement de gagner un million, et que leur réaction semblait tout à fait naturelle et appropriée dans les circonstances.

J’ai la forte impression que les deux parties (l’équipe de production et l’animateur) ont vu ce qu’ils ont bien voulu voir.

Langage corporel

L’étude du langage non-verbal (i.e., corporel) s’appelle la synergologie. Certains auteurs, particulièrement ceux qui s’adressent à la population en général dans des livres de psycho pop (e.g., Philippe Turchet), parlent comme si tel mouvement signifie telle chose précise, telle posture signifie telle autre chose spécifique, etc.

Si c’était vrai, on aurait qu’à apprendre ses livres par cœur (à Philippe Turchet), et nous pourrions dire ce que n’importe qui pense ou ressent à n’importe quel moment. Il se tient comme ça, donc je l’emmerde. C’est un jeu risqué auquel vous pouvez jouer, mais je vous mets en garde, vous allez vous rendre compte bien vite qu’il y a un pas à franchir entre le livre et la réalité.

Une autre position théorique est beaucoup plus réaliste : le langage corporel s’exprime à travers des changements dans le comportement ou la posture de la personne. Une personne qui a toujours les bras croisés quand on lui parle ne signifie pas qu’elle s’emmerde dès qu’on lui parle. Une personne qui a toujours les bras croisés quand on lui parle, et qui décroise les bras quand VOUS vous vous mettez à lui parler (!), là vous pouvez penser que vous avez un rôle à jouer dans son changement de comportement.

C’est quelque chose du genre que nous pouvons observer dans l’épisode de tricherie de Ingram. La femme de Ingram (rappel : Diana), qui était parmi les spectateurs, est surprise à plusieurs occasions via caméra en train de regarder dans la direction de Tecwen Whittock. Il est effectivement très peu subtile pour elle d’agir ainsi, et comme de fait je la trouve pas trop bright elle non plus, un peu comme son mari… mais bref.

Ce qui est intéressant, c’est qu’elle semble se rappeler certaines fois qu’elle ne devrait pas le regarder. Dès lors, elle détourne le regard, mais pas n’importe comment! Elle le fait plutôt rapidement, les yeux baissés (!), et elle cligne des yeux à 100 milles à l’heure. À d’autres occasions, où elle fixe Whittock et ne semble pas se rappeler qu’elle ne devrait pas, elle le regarde beaucoup plus longtemps, et quand elle arrête, le retour à sa position normale est beaucoup plus lent, et elle ne commence pas à faire battre ses paupières comme des ailes de colibris.

Je soutiens donc qu’à certaines occasions, Diana regarde Whittock et ne ressent rien de particulier, et qu’à d’autres occasions elle regarde Whittock et réalise très vite qu’elle ne devrait pas, et dans un mouvement démontrant sa culpabilité/honte, tente de ne rien y faire paraître. Mais dans ce cas-ci du moins, j’ai bel et bien l’impression que son corps la trahit.

L’émission sur YouTube

L’émission est en 8 parties. Elle s’intitule Major Fraud. Vous n’avez qu’à chercher pour « Major Fraud » ou pour « who wants to be a millionaire major fraud » sur YouTube pour avoir accès aux 8 parties. En attendant, je vous fournis, gratuitement et sans frais cachés, la première partie :



Conclusion et autres méfaits

Vu la longueur de la chronique, je me sens obligé de conclure formellement. Ceci maintenant fait, je vous souhaite la meilleure des fins d’années pour 2008, et vous remercie de m’avoir lu jusqu’au bout!

3 commentaires:

Seigneur a dit...

Patrick les a tous téléchargés, et les a écoutés avant que je finisse l'école. MAIS, gentil comme lui, il a attendu que je parte pour faire mon dernier examen pour me laisser un message (post-it) sur mon ordinateur avec sa clé USB avec tous les vidéos du major fraud!

C'est assez bon en passant (long un peu je trouve, mais bon).

Anonyme a dit...

Moi, je pense (long soupir...)qu'on a une leçon à retenir de cette article si intéressant. Mais je ne peux pas répondre pour les autres alors je vous conseilles de faire une réflexion intérieur et trouver les choses que vous ne trouver pas correct.

J'ai essayé d'être le plus simple possible...

Anonyme a dit...

P.S
Je viens de me relire et j'ai vu des fautes d'ortographes.
Je vais aller réfléchir là-dessus...