jeudi 24 septembre 2009

Engin d'échecs - temps de réflexion

À deux reprises récemment j'ai testé le talent de deux engins d'échecs que j'utilise pour trouver des coups "évidents" (notez les guillemets).

En fait, la capacité de calculs des ordinateurs n'est jamais mise en doute quand vient le temps de jouer aux échecs: ils ont un avantage indéniable. Par contre, la question est vraiment la suivante: quoi calculer?

Le commun des mortels s'attendraient sûrement à ce que la question soit difficile à résoudre en termes de programmation, mais facilement résolue anyway; il y a sûrement des manières de faire comprendre à l'ordinateur qu'il y a des patterns à reconnaître, question de rapidement mettre de côté des coups qui semblent mauvais. C'est d'ailleurs comme ça que les engins s'en viennent de plus en plus (vs. le calcul brut -- voir Computer_chess#Search_techniques).


Dans les derniers jours, j'ai réussi à trouver des "failles" dans deux engins que j'utilise, l'un gratuit (Toga II) l'autre commercial (The King, l'engin de Chessmaster).

Dans les deux parties, ni l'un ni l'autre des engins n'a été en mesure de voir "de manière prompte" le coup relativement évident à jouer.

Partie 1: il s'agit d'une partie par correspondance entre deux personnes dont les noms ne me disent rien. Voici la position cruciale, obtenue après 8. ... Bh5.



N'importe qui moyennement aventurier prendrait la peine de regarder le coup Nxe5. C'est un sacrifice, qui donne "évidemment" l'opportunité aux Noirs de jouer Bxd1 (capturer la dame avec le fou). En fait, si on calcule rapidement, il s'agit d'un excellent coup. Et c'est assez facile à calculer, parce que on peut forcer les trois ou quatre prochains coups des Noirs, et le roi devient extrêmement exposé au centre. Rendu là, on n'a pas vraiment besoin d'être exact: si le roi est au centre et que toutes nos pièces mineures (fous et cavaliers) sont bien placées, il "faut" qu'il y ait quelque chose. Dans cette situation, il y a effectivement quelque chose, et les Blancs ont gagné sans trop de difficulté. Voici la position obtenue après le 14ème coup des Blancs. Les Noirs ont le trait:



Pensez comme vous voulez, vous vous rendrez bien compte que la position est très difficile à jouer pour les Noirs.

Revenons à la position critique (première image). Dans cette position, mon engin gratuit -- Toga II -- refuse catégoriquement de voir Nxe5. Or, si on lui impose le coup, c'est-à-dire si on lui demande d'évaluer la position une fois le coup joué, son évaluation de la position devient extrêmement favorable aux Blancs, et ce dans une mesure beaucoup plus grande que tous les autres coups proposés auparavant. C'est donc dire que l'engin reconnaît un fort avantage aux Blancs, et ce en dépit du fait qu'il eût rejeté ce coup juste avant.

S'il est capable de voir une fois le coup joué que c'est un bon coup, il faut penser qu'il serait capable de le voir avant qu'il soit joué, moyennant un certain coût en temps. Quel est ce coût? Je ne sais pas. Après 7 ou 8 minutes d'attente, et toujours aucun signe de vie, je me suis tanné.

Toga II a donc été incapable d'analyser ce coup d'une manière ponctuelle, tandis que n'importe qui initié aux échecs aurait pris la peine de regarder le coup, et aurait possiblement rapidement conclu qu'il s'agissait d'un bon coup, ou à tout le moins intéressant.


Deuxième partie: jouée avant-hier entre Kasparov et Karpov à Valencia (Espagne). C'était une partie relativement rapide (25 minutes pour la partie par côté, plus 5 secondes d'incrémentation par coup). Karpov a joué un coup qui a affaibli la protection d'une case, et Kasparov s'est empressé d'en profiter en sacrifiant une pièce. Voici la position avant le sacrifice:



Kasparov a donc joué le (très?) évident Nf6+!. Karpov a essentiellement deux choix: l'un ouvre complètement son roi et permet une attaque imparable à Kasparov, tandis que l'autre donne l'opportunité à Kasparov de... le mater. En somme, Kasparov a un avantage décisif après ce sacrifice.

J'ai fait le test, cette fois avec The King. Étant donné que The King est meilleur que Toga II (et il est commercial, je vous rappelle), je me suis dit qu'il verrait le coup sans problème. D'ailleurs, comme dans la première situation, j'ai imposé le coup Nf6+ à l'engin. Une fois imposé, il n'avait aucune difficulté à reconnaître que les Blancs avaient un très grand avantage comparé à la position précédente (avant Nf6+). Or, si on ne lui impose pas le coup, il ne le voit pas.

Une fois l'attaque bien entamée, voilà à quoi ça ressemble:



Contrairement à la première situation, j'ai décidé d'attendre que The King voie le coup. "Combien de temps aurai-je à attendre?", me demandai-je en me disant que ce serait une ou deux minutes maximum.

J'ai attendu 11 minutes et 23 secondes. Ça a pris au-delà de 11 minutes à Chessmaster pour voir que Nf6+ était le meilleur coup à jouer dans la position.


Et bref, c'est là où je veux en venir. Le calcul brut, quoique très utile, ne permet définitivement pas à lui seul de jouer contre les meilleurs au monde. En effet, ni Toga II (engin gratuit), ni The King (qui est un engin relativement respectable) n'ont été en mesure de voir les tactiques de manière rapide, et ce en dépit de leur "évidence" (on ne peut pas dire, en tant qu'humain, vraiment rapidement si un coup est bon ou pas... mais on peut définitivement reconnaître qu'un coup vaut la peine d'être analysé, contrairement à mes amis en silicone).

Par contre, n'ayez crainte: les améliorations sont telles que les meilleurs ordinateurs actuels peuvent bel et bien s'imposer sur la scène internationale. Par exemple, dans la première situation (où Toga II n'a pas réussi à trouver la solution dans un temps raisonnable imparti), le meilleur engin actuel au monde -- Rybka -- est en mesure de voir la capture du pion à l'aide du cavalier à l'intérieur d'une quinzaine de secondes sur un ordinateur personnel (selon un "spectateur" sur chessgames.com).


Conclusion: Le calcul brut n'est pas tout ce dont un bon joueur d'échecs a besoin. Entre autres, la reconnaissance de patterns est essentielle.

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